Peut-on retrouver l’enfant que nous étions 60 ans auparavant ? Savoir avec vérité qui il était ?
C’est ce voyage vers la terre de son enfance puis de sa jeunesse que François Tallandier vient d’effectuer et qu’il nous dévoile dans ce récit très abouti, intitulé : « François, roman ».
François Tallandier justifie l’emploi du mot roman par l’idée que si tout ce qu’il est devenu lui vient bien de ce François des années 60, l’enfant de ces années-là lui échappe en partie. Non pas que la mémoire de l’écrivain flanche, que les documents manquent, mais simplement que la vérité oblige à admettre que cet enfant a gardé une part de mystère que l’adulte ne peut plus atteindre. Ce mécanisme d’approche vers cette contrée familière du soi-même n’autorise ni ne permet de forcer ce trésor intérieur que le jeune François gardera comme un personnage de roman autonome et inatteignable dans sa totalité.
Le lecteur goutte avec délectation dès les premières pages à l’ambiance littéraire du récit. C’est le confort du petit François mais aussi le plaisir que la morosité et la mélancolie de ce retour en arrière procure à l’écrivain qui nous est parfaitement restitué.
La France des années de jeunesse du futur écrivain sur laquelle le Général de Gaulle veille encore n’est plus qu’un souvenir que nos villes et nos campagnes ont effacé mais dont la plume de François Tallandier restitue l’haleine.
« À ferrières (ville de ses grands-parents) j’ai touché des yeux une France où le boulanger cuisait du pain qui ne rassissait pas en un jour, où l’on allait quérir le lait à l’étable, où les petites filles défilaient à l’occasion de la Fête Dieu… ».
C’est le miracle de l’écriture que de reconstruire ce à quoi nous ne pourrons plus jamais goûter puisque « toute cette société villageoise s’est écroulée en une génération, la mienne. Oui décidemment l’époque fut à l’abandon des contrées ».
Quelques-uns des personnages du récit nous touchent. Principalement François avec son goût pour les lettres scellé avec l’admiration du Cyrano d’Edmond Rostand et doublée d’une certaine gaucherie dans les choses de la vie. Plus encore que l’admiration pour celui qui découvre et s’attache définitivement à la littérature c’est sa maladresse qui emporte notre faveur. Puis François nous transmet les émotions éprouvées pour ce couple qui le garda à la sortie de la classe, nous fait nous réjouir de l’intérêt qu’il porta aux écrits miraculeusement retrouvés de sa grand-tante Jeanne devenue Sœur Marie Saint-Anselme ou encore nous incite à partager l’admiration qu’il voua à cet abbé passeur et prêteur de livres !
Le décor posé, l’atmosphère restituée ceux-ci prennent vie avec des airs de cantiques et de chansons que François garde en mémoire et que nous finissons nous-mêmes par fredonner.
Mais ce qui frappe peut-être le plus profondément le lecteur c’est le constat dressé par l’écrivain que la France de l’époque si imprégnée de catholicisme va si rapidement se dissoudre sous les effets conjugués de Vatican II et de mai 68.
C’est dans la tourmente française des commencements du XXe siècle où les lois d’expulsion des Congrégations sont promulguées par le Président du Conseil Emile Combes que le catholique et breton Renaud – l’une des figures centrales du premier roman de Xavier Accart – doit se bâtir et s’élever. Mais Renaud trébuche alors qu’il s’apprête à devenir adulte et à s’engager pleinement sur ce chemin de vie exigeante et à adopter la hauteur de vue à laquelle tout son être aspire.
Aussitôt surgit une question lancinante qui brûlera toute la vie de Renaud et s’étirera au long des 328 pages du roman : Qu’ai-je fait de mes promesses ?
Comment se réconcilier avec soi-même et aux yeux de son entourage ? Ses choix lui permettront-ils de combler cet écart si soudainement creusé par ses manquements et ses inconduites entre ses velléités d’une vie pure et aimante et ses « agissements fautifs » ?
Ses remèdes d’urgence imposés par les circonstances seront la fuite vers l’Egypte, les regards attentifs portés sur les âmes rencontrées au cours de ses pérégrinations, le don et l’oubli de soi. Ils seront autant d’esquives pour éviter les écueils de la vie et bâtir autrement l’idéal avorté des débuts.
Renaud s’engage alors dans une quête d’accomplissement semée d’embuches. Plus les épines seront piquantes plus Renaud élèvera son regard et retournera s’abreuver aux sources de sa foi, aux textes bibliques. Ils seront ses repères spirituels balisant sa progression vers la rédemption.
Mais son élan vital, sa soif d’absolu et de vérité c’est son fils Malques conçu avec Mari - la jeune femme aimée à jamais - qui en est le porteur malgré lui et au-delà l’absence de son père.
Révolté à l’image de son époque, Malques s’insurge contre le « monde chahuté » dans lequel il grandit, une mère naïve, les bondieuseries de sa marraine. Il souffre de l’absence d’un père qu’il ne connaît pas mais dont l’image le hante.
Sa volonté se forge dans les secousses du temps où les guerres choquent les existences et cassent les vies. Sa pensée se construit dans le maelstrom des courants philosophiques à la mode. Surgissent dans le roman Romain Rolland lançant la querelle des Appels de l’Orient, Henri Massis, René Guénon et les Surréalistes du Paris des années vingt.
Dans cette agitation des temps et des êtres c’est l’éruption de l’amour qui sauve Malques, le rend victorieux de ses démons et l’apaise.
Les personnages du Dormant d’Ephèse ont un sens développé du sacré et évoluent dans une France où le christianisme éclaire les âmes et structure les consciences à un point que l’on a bien des difficultés à concevoir aujourd’hui.
Xavier Accart est pétri de culture et mû par un idéal irrigant son écriture sensible. Il nous embarque dans un roman tout à la fois intimiste et épique à travers l’aventure d’une famille ballotée par les secousses de l’histoire.