La grâce poétique d’Olivier Rasimi rend hommage au génie littéraire d’un Raymond Radiguet mort à 20 ans emporté de l’autre côté du rivage, au paradis où les mots règnent sans partage et rayonnent à l’infini.
Jean Cocteau pénètre alors l’empire d’une nuit sombre et douloureuse qu’aucun jour ne semble apte à briser, qu’aucun ciel et qu’aucune lumière ne parviennent à dissiper durablement. Ses rêves s’étirent en épousant les formes des brumes incandescentes de l’opium et ses voyages échouent à extraire l’écrivain de son exil sur terre.
La pureté naturelle de son refuge inondé du soleil irradiant de Villefranche-sur-Mer à quelques coudées de Nice heurte la carapace de l’écrivain retiré pour un temps du monde avec lequel il aime frayer.
« D’ici on voit l’Estérel, et jusqu’au cap d’Antibes. Les palmiers balancent leur tête au vent. Les vagues roulent les galets brûlants. Un air délicieux et tiède caresse leur visage. Ce pays est un paradis, une conque de lumière posée contre la mort, une aurore permanente que Cocteau ne veut plus quitter ».
Olivier Rasimi peint la peine et dit l’amitié tissée entre ces hommes et ces femmes réunis par l’art pour chanter le beau. Missia Sert, Coco Chanel accompagnent l’enfant jusqu’à la douane de son ciel, Max Jacob, Picasso, George Auric et leurs amis quittant le Bœuf sur le Toit visitent Cocteau sur le rivage.
A la pointe, en apothéose, plus ardent que les rayonnements des astres, Dieu fait de Jacques et Raissa Maritain ses passeurs. Cocteau prie, Maurice Sachs se fait baptiser. Dieu règne et accomplit son œuvre ouvrant ses bras secourables dans lesquels le poète se blottit pour trouver la force de vivre ici-bas encore et sourit.
Ce livre est un don offert au lecteur où les mots transpercent son cœur et cicatrisent les plaies presque encore souffrantes du poète abandonné.
Que reste-il dans nos mémoires de Jacques de Lacretelle dont on sait dans le meilleur des cas qu’il fut un écrivain (1888-1985) ?
Un nom qui renvoie vaguement à ces lointains auteurs dont on devine qu’ils connurent leur heure de gloire et un titre « Silberman » (prix Femina 1922, obtenu contre Les Thibault de Roger Martin du Gard) dont le libraire peut vous affirmer qu’il est aujourd’hui prescrit et lu dans les collèges et les Lycées.
C’était à peu près tout jusqu’à ce que sa fille, Anne de Lacretelle, rédige ses Mémoires en forme d’évocation sensible et intellectuelle de la vie de son père.
En lisant ce titre nous croisons avec intérêt beaucoup de figures – écrivains, artistes, intellectuels – qui furent des amis de l’écrivain. Nous percevons que ces artistes furent pour sa fille bien plus que les représentants de l’intelligentsia ou des institutions, des êtres de cœur et de chair hautement importants.
Ainsi d’une part, Anne de Lacretelle brosse des portraits vivants, précis, humains de ce Monde des décennies primordiales du XXe siècle et d’autre part restitue parfaitement l’ambiance et la chaleur de ce qui les relièrent les uns aux autres.
Les lieux de vie ou de la création sont évoqués avec tendresse à l’image de Montfort-l’Amaury – village refuge de Ravel ou de Jean Anouilh – mais également de Jacques de Lacretelle qui venait dans sa maison trouver le calme et l’inspiration pour écrire.
Marcel Proust, Paul Morand, André Gide, Montherlant, Cocteau, Mauriac et quelques autres et pas des moindres nourrissent ces lignes. L’évocation de Marie Laurencin est particulièrement touchante et réussie.
Ce livre des Mémoires d’Anne de Lacretelle provoquent une irrésistible envie de lire ou relire beaucoup de livres tombés injustement dans cet oubli évoqué à l’instant et de redécouvrir cette époque dont on rage qu’elle se soit envolée si rapidement.